2e jour au Camp
Journée plus tranquille aujourd’hui. Je peux enfin me poser.
Mon rôle ici se dessine peu à peu. J’aimerais recueillir pas mal de témoignages sur des sujets divers qui m’intéressent: genre pratique du sport dans le camp de réfugiés (pour sortir un peu des sentiers battus du conflit), genre quelle type de société voudraient-ils si d’aventure le conflit venait à évoluer en leur faveur, genre qu’est ce qu’être palestinien ? Qui accepteraient – ils au sein du nouvel État ? Il y a toute une réflexion sur l’identité qui est à effectuer.
Apparemment l’asso va lancer un journal, je compte y participer aussi. On pense créer une Newsletter aussi sur le site internet avec les autres volontaires sur tout ce qu’on fait ici et ce qu’il se passe. Je vais aussi écrire des articles pour mon propre compte. Je contacterai les journaux en France après pour voir s’ils sont intéressés. Émilien s’est fait publier dans Slate une fois.
Sinon, il y a une bonne équipe de volley féminine ici apparemment, j’aimerais bien rencontrer les joueuses. Je me demande quelles tenues elles portent d’ailleurs. Clairement ça doit pas être des mini shorts. Haha. D’après Camille et Émilien, pour beaucoup de palestiniens, voir une fille avec un débardeur, les épaules dénudées c’est la même chose que voir une fille en bikini. Certains Palestiniens en venant en France ont été d’ailleurs très marqués par leur passage sur nos plages.. Plus sérieusement, je me vois bien à mes heures perdues donner des petits cours de volley. Même si les Palestiniens ont d’autres problèmes, le sport est quelque chose de positif je pense. En cours d’ECJS au lycée on faisait que nous dire que c’était l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre ensemble. L’idéal serait que des enfants juifs et palestiniens viennent ensemble apprendre le volley mais c’est impossible évidemment.
Enfin bref, vers 16h je me retrouve dans une discussion de 2h30 en anglais sur des sujets divers : l’homosexualité, les diverses interventions occidentales au Moyen-Orient et leurs conséquences. Je parle avec Oussam’ et un autre gars dont j’ai oublié le nom. J’apprends pleins de trucs mais j’ai du mal à tout comprendre. Sur certains sujets, je le reconnais, je suis un peu largué. Par exemple, si mes lectures des bouquins de Shlomo Sand me permettent d’avoir un faible bagage intellectuel en termes de religion juive, je suis vraiment mauvais (la piquette Jack) sur tout ce qui concerne l’islam et même le christianisme. Sur ces sujets je me tais au maximum. On fait des pauses régulièrement en jouant au volley sur le toit. La balle de Beach que j’ai emmenée a filée deux ou trois fois sur la rue mais rien de bien méchant.
Je commence à kiffer de plus en plus le paysage ici ! Ce soleil de plomb et les reliefs de ouf. Toutes les colonies juives sont en haut des montagnes et entourent la vallée. On peut les voir la nuit. Évidemment, les colons ne sont pas bien vus ici. Mais comme ils sont à l’extérieur de la ville, on ne les côtoie jamais. Par contre, à Hébron, les gars m’ont dit qu’ils étaient au centre ville et que les Palestiniens n’avaient plus le droit de passer dans la rue principale. Comme si en France, des étrangers s’emparaient des champs élysées, de sainte Anne et de la place des lices (rennes), debon rue Kéréon (Quimper) et bloquaient l’accès aux autres. Dans ce genre de situation j’essaie toujours de voir le bien fondé de l’autre point de vue mais là j’avoue que j’ai du mal. Les colons se divisent en deux catégories: ceux qui ont le flingue et ceux qui creusent. Non en vrai, ceux qui viennent en Cisjordanie par idéologie, pour coloniser parce qu’ils considèrent que c’est leur terre, ils sont prêts à se battre et tout. Ceux là sont vraiment extrémistes et resteront coûte que coûte. L’autre catégorie, moins convaincue idéologiquement et donc plus prompte à se barrer si ça chauffe, est là du fait des incitations économiques. Israël aide beaucoup financièrement les colons dans la construction des maisons et l’achat des terres.
Avec Camille, on est invités chez Naji ce soir. On prend un falafel sur la route (je vais en avoir marre très rapidement de ce machin par contre). Pour l’instant la bouffe est le seul truc qui me manque vraiment de la France. Leur pain est pas si dégueu que ça donc ça va. L’essentiel est sauf. On arrive chez Naji qui habite en haut du camp de réfugiés de Dheisheh, sa femme nous ouvre avec un grand sourire et nous conduit vers le toit. Ils kiffent se poser sur les toits ici j’ai l’impression et je les comprends. La vue est une fois de plus magnifique. Naji est athée, il dit que la religion, c’est des conneries, du coup il nous offre l’apéro. On goûte un alcool à 25 degrés vraiment bon. Plusieurs amis de son fils de 22 ans sont là. Il a 4 gosses, deux filles et deux gars, il nous dit qu’il s’est bien démerdé de ce côté là en riant. Les deux gars étudient aux USA grâce aux bourses pour les sportifs et une des filles en France.
Pour poser les choses, Naji a environ 50 ans, et a passé près de 10 ans en prison. Quand t’apprends ça, tu te tais et tu écoutes ce qu’il a à te dire car malgré les livres que t’as pu lire, les études que t’as pu faire, toi t’as pas été en prison 10 ans de ta vie (cumulés) pour avoir exprimé tes idées, franchi le mur pour aller voir ton village de naissance, manifesté dans la rue, etc. Ici à Dheisheh, tout le monde le connait. En prison, il a rencontré des militants de tout le pays. Il continuait son activité politique de manière intense dans les geôles israéliennes. Il s’astreignait à une discipline très stricte. Tous les matins, il se levait à 8h, faisait de l’exercice, puis à 10h atelier discussion politique avec des non-initiés, et ainsi de suite. Naji est un homme calme pourtant. On parle de tout, surtout de politique évidemment. Il est super intéressant. Il nous livre plusieurs de ses réflexions dont je vous ferai part un jour où j’aurai moins de trucs à raconter.
En prenant la direction de la guesthouse avec Camille, on entend les roquettes du Hamas qui essayent d’atteindre Jérusalem ouest qui est à une dizaine de kilomètres d’ici. Les gens sont tout excités. On entend beaucoup les aboiements de chiens errants pourtant invisibles le jour. La notion d’animal domestique est tout simplement inexistante ici.
Je suis ici depuis 2 jours mais j’ai l’impression que ça fait un mois. J’apprends des trucs tous les jours, tout va bien pour le moment !