A la santé de « Mademoiselle Julie » !

Mille fois jouée, sur scène comme sur les écrans, la « tragédie naturaliste » de Strindberg trouve un nouveau souffle dans la mise en scène enlevée de Julie Brochen au théâtre de l’Atelier.

Nuit de la Saint Jean dans une bourgeoise maisonnée de campagne. Mademoiselle Julie, la fille du maître des lieux, vient provoquer son valet dans les cuisines. Jean se rebiffe, puis se laisse tenter et se fait lui même tentateur. Qui du maître et du valet, de l’homme et de la femme, est le dominant et le dominé? Dans cet « Orgueil et Préjugés » suédois, le romantisme n’a pas sa place. Dans un dialogue quasiment ininterrompu à couteaux tirés, la pièce donne à voir deux forces vives qui ne demandent qu’à exister, l’un en s’élevant dans la société pour une place qui lui semble méritée, l’autre en échappant à son déterminisme de classe. Si proches dans leurs pulsions, mais si tragiquement voués à ne pas se comprendre, Julie et Jean joutent avec leurs corps et avec leurs mots pour tenter de prendre le dessus de l’autre. Ils ont pour témoin Kristin, la cuisinière, incarnant la « sagesse du peuple » et le comte, qui, bien que physiquement absent, impose son autorité à travers les appels de sonnettes et le rappel des devoirs domestiques( les bottes cirées).

Lutte des classes, lutte des sexes, le classique de Strindberg s’avère d’une éternelle modernité. Dans le foisonnement des symboles et des enjeux, c’est surtout l’affrontement entre deux personnalités rebelles que l’on retient ici. L’interprétation engagée d’Anna Mouglalis, en Julie, et de Xavier Legrand en Jean donne à la pièce une perspective nouvelle. D’emblée, la voix rocailleuse de l’actrice verse dans la provocation, plus que dans la séduction. Le personnage titube entre détresse et détermination, passant (très?) rapidement d’une émotion à l’autre. L’interprétation « grisée » d’Anna Mouglalis n’est pas sans déclencher quelques rires dans l’audience, faisant entrer la comédie de manière inattendue, et il faut dire, un peu malvenue. Xavier Legrand, signe un Jean plus froidement calculateur, dont le maintien altier contrastant avec les manières ostensiblement populaires de Julie, brouille la barrière entre noblesse et roture.

Toute la bataille a lieu dans la cuisine, dont l’atmosphère d’époque est ici subtilement reproduite. La mise en scène ne cache rien de la tension sexuelle entre les personnages, sans tomber dans un voyeurisme facile. La crudité des dialogues, le contexte magique de la Saint Jean, la violence, symbolique et physique, opèrent pleinement sur la scène du théâtre de l’Atelier.

Mademoiselle Julie

Auteur : August Strindberg

Metteur en scène : Julie Brochen

Distribution : Avec Anna Mouglalis, Xavier Legrand et Julie Brochen

Du 28 Mai 2019 du 30 Juin 2019 au Théâtre de l’Atelier.