Un Bordel ordonné

Voici probablement mon dernier article sur la Palestine car je ne compte vous raconter mes derniers jours pendant lesquels j’ai surtout voyagé en fait. Je vous mettrai les photos à la fin de cet article que j’ai écrit pour le magazine décloitrés de Sciences Po Rennes.

La Palestine, un sacré bordel mais pas sur tout

Dans cet article, on va sortir des sentiers bombardés et re-bombardés de la guerre, des roquettes, des victimes car cette fois, j’entends ici attirer votre attention sur quelque chose de différent, de radicalement opposé en fait, amour ! Je vois d’ici les réactions dégoutées et interloquées de certains d’entre vous, j’entends déjà les commentaires « Mais c’est grave cucu ça mec ! » néanmoins je persiste et je garde espoir que cet article saura finalement vous captiver.

Disons les choses d’emblée, les relations hommes-femmes ici en Palestine, eh bah c’est pas pareil que chez nous. Ceux qui ont vu le film Omar peuvent déjà s’en faire une petite idée. Très clairement, la société palestinienne s’embarrasse d’assez peu de règles concernant sa vie quotidienne, c’est vrai pour la circulation (je mène actuellement une enquête pour déterminer s’il existe réellement un code de la route ici) ou le travail, les gens bossant un peu quand ils le veulent, à leur rythme, ou le paiement des factures, un de mes potes ayant déjà payé une facture d’hôpital en repeignant les murs du bâtiment. Beaucoup d’autres exemples témoignent de ce bordel enthousiaste. Mais s’il y a une chose sur laquelle la société palestinienne est à cheval, ce sont les mœurs, et en particulier les relations amoureuses. Sur cette question en particulier, tout le poids de la pression sociétale s’exerce sur les individus.

Pas question d’avoir des relations autres que platoniques avant le mariage ! J’en veux pour preuve plusieurs anecdotes que j’ai pues remarquer ou vivre moi-même ici.
Ainsi, à une période donnée, Naji, le directeur de Laylac étant absent (l’orga pour laquelle je bosse ici), les locaux de l’asso étaient devenus une sorte d’antre du diable dans lesquels les jeunes volontaires contaient fleurette jusqu’à 20-21h le soir (AAH les Oufs !!). Eh oui, ici 20h c’est considéré comme tard dès lors que des filles et des gars sont ensemble à ne rien faire de particulier. Après l’apparition du phénomène, il fallut donc fermer les portes à partir de 18h30 car le camp commençait à parler sur Laylac. Bon, il s’est avéré que les jeunes avaient dû être briefés de leur côté car on n’eût pas besoin de virer qui que ce soit.
Une autre fois encore, un pote français qui bosse avec moi, Emilien, surprend deux volontaires palestiniens de genre 16-17 ans en train de s’embrasser dans une pièce isolée. Mon pote fait mine de rien et passe à autre chose mais c’est sans compter la réaction du mec pris en flagrant (non) délit ! Celui-ci vient le voir quelques minutes après le suppliant de garder le secret craignant le rappel à l’ordre conservateur de sa société.
J’ai tendance à penser que cette pression sur les comportements est plus sociétale que religieuse. Je m’explique : une de nos potes françaises de Naplouse a en ce moment une amourette avec un Palestinien. Le mec lui dit qu’ils ne peuvent pas s’embrasser ou avoir des rapports avant le mariage tout en lui affirmant que si c’était en France, ce serait différent. En France, Dieu pourrait le voir mais pas la société.

La figure du père est également encore très présente. Pour le soupirant, il faut demander la main de la princesse aimée au père ou au chef de famille quand il y en a [1] un avant de pouvoir épouser sa bien-aimée. Ce côté « Je surveille ma famille mon pote donc reste tranquille», je l’ai vécu personnellement. Pas que j’ai souhaité me marier, non non ! Mais un soir je rentrais d’un dîner avec la famille d’une fille, elle me raccompagnait chez moi. Sauf que son paternel nous suivait de près en pleine rue. Chers amis hommes, essayez de vous visualiser en train de marcher dans la rue avec une amie avec son père rôdant autour. Vous n’y arrivez pas ? Cela ne m’étonne pas, moi aussi ça m’a paru surréaliste sur le moment !

Ah, et j’oubliais presque la nécessité (à quelques rares exceptions près) de se convertir si vous souhaitez vivre avec la femme de vos rêves. Nico, un volontaire français dans une asso à Naplouse et une Palestinienne de là-bas se tournaient autour depuis un moment jusqu’à ce que l’expérience ne tourne court quand le directeur de l’ONG dans laquelle il bossait le prévint qu’il devait se mettre à la lecture du Coran puis se marier s’il souhaitait aller plus loin avec elle.
Ce  carcan culturellement imposé pèse sur les consciences des individus. Par exemple, il y a souvent des mecs de 24-25-26 ans ici qui viennent vous parler de sexe (parce que vous êtes Européen) tout excités tels des gosses de 15 ans chez nous. Ça fait tout drôle. D’autre part, cela engendre des fantasmes souvent infondés sur les autres pays. Certains Palestiniens sont persuadés que les Françaises perdent leur virginité à 13 ans.

Le pire c’est que cette sur-régulation des mœurs a de sacrées conséquences. Quand les femmes se marient, elles doivent être vierges. Mais certaines petites malignes contournent le problème. Une Palestinienne de Naplouse expliquait à des potes volontaires françaises que beaucoup de femmes ici utilisaient la sodomie évitant ainsi de perdre leur virginité mais permettant d’avoir des rapports sexuels avec un homme. J’imagine d’ici le trauma de certaines femmes après leur « première fois »…

Bon, il existe tout de même des mecs plus libérés ici, tels Naba et Aysar qui sortent de temps en temps avec des internationales, et qui ne souhaitent pas se marier. Mais même eux restent vraiment Palestiniens sur certains trucs. Par exemple, quand la copine d’Emilien vint lui rendre visite en Palestine, Emilien demande alors à Aysar s’il peut lui trouver une chambre pour lui et sa copine dans le centre voisin où ils pourraient avoir un peu d’intimité. En effet, la guest-house de Laylac était habitée par une dizaine d’Italiens à ce moment-là. Et Aysar, bien qu’il semble le mec le plus libéré de Palestine, leur file une chambre avec uniquement des lits une place et superposés. Quand il en reparlera à Aysar, ce dernier avouera que le nécessité d’avoir un lit deux places ne lui avait pas effleuré l’esprit une seule seconde. Autre exemple : Aysar a une copine américaine, qui avait passé quelques mois à Dheisheh. Il sortait avec elle à la façon d’un Européen. Par contre, une fois partie, même s’il ne l’a fréquentée que 2-3 mois, et ne le reverra pas avant belle lurette, le type est capable de t’affirmer sans trembler les genoux que Shannon est sa future femme. Un Occidental aurait probablement pensé quelque chose comme « Bon bah c’était bien mais maintenant tant pis. » Nous avons sûrement une conception plus charnelle de l’amour et nous avons besoin de l’autre à côté de nous. Ici, c’est différent.

Pourtant au final, je suis vraiment heureux de vivre en Occident où, au regard cet aspect-là au moins, on ne réfrène pas trop les individus, et donc par extension la liberté individuelle. Ok, ce n’est pas valable pour tout le monde non plus, mais j’essaie de parler d’une manière générale. Cette pression sociale n’a cependant pas que des mauvais côtés. Par exemple, les dealers n’existent pas ici, ni les clochards. Le lien familial est si puissant qu’on ne peut laisser un des siens dehors. Mais dans le cadre des relations hommes-femmes, cette sur-régulation des comportements me rend malade car je la considère sans fondement. Deux jeunes qui s’embrassent ne mettent en danger personne et cela ne les détourne pas non plus de la lutte pour leurs droits.
Pour finir, il est tout de même important de noter que cette liberté dont nous jouissons dans le domaine individuel en Occident n’est que récente. La loi Neuwirth légalisant la pilule et donc reconnaissant que le sexe n’est pas qu’une affaire de reproduction ne date que de 1968. Donc gardons-nous de leur donner trop de leçons, nous aussi étions dans un passé proche empêtrés dans un conservatisme semblable.

[1] Ce sont des sortes de juges tout puissants au sein des familles qui peuvent statuer sur à peu près tout.

 

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