Dheepan : le nouveau Jacques Audiard est-il un chef d’oeuvre ?
Jacques Audiard fait figure d’ovni dans l’univers aseptisé du cinéma français par ses thématiques originales et engagées. La palme d’or reçue à Cannes pour Dheepan sonne comme une consécration pour ce réalisateur à la filmographie déjà bien remplie : Un prophète, Sur mes lèvres, De rouille et d’os…
Une actualité brûlante
Dheepan nous plonge dans les péripéties d’un migrant Tamoul, lassé par une guerre civile dans laquelle il a pris une part très active. Contrairement à la grande majorité de sa communauté, choisissant l’Angleterre pour émigrer, il va se rendre en France en compagnie de deux inconnues également Tamoules. Une jeune femme, Yalini, et une petite fille, Illayaal. Un lien spécial va rapidement se créer entre eux au fur et mesure de leur aventure, Dheepan les considérant rapidement comme sa propre famille.
Le film tourne rapidement au documentaire sur les difficultés d’intégration des migrants en France : sans emploi, sans logement et ne connaissant pas le français… On peut y voir un Etat tentant de prodiguer des aides : la (fausse) famille Tamoule va obtenir un logement et un travail de gardien pour Dheepan. Mais ce qui peut apparaître comme un don du ciel tourne rapidement au cauchemar. Les migrants découvrent la triste réalité des quartiers difficiles où règne la pauvreté, la décrépitude des services publics, le trafic de drogue, etc. Jacques Audiard fait également écho à une actualité brûlante avec l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés en Europe. En se concentrant sur les aventures de quelques individus, ils apportent une touche d’humanité à une situation qui nous concerne tous.
Un jeu d’acteurs poignant
On retiendra aussi de Dheepan l’incroyable prestation d’Anthonythasan Jesuthasan, écrivain de profession, qui se coule parfaitement dans son personnage. Si l’usage de la langue Tamoule fait son effet, Anthonythasan impose sa présence et son charisme tout au long du film pour ses premiers pas en tant qu’acteur.
Malgré toute leur bonne volonté, les nouveaux arrivants sont pris dans un terrible engrenage. La situation tourne au cauchemar. Après une fin assez rocambolesque et surréaliste (Audiard a récemment tenté une pirouette en parlant d’un rêve), Dheepan immigre en Angleterre, terre rêvée des migrants. Le contraste est alors saisissant : on peut y voir une famille remplie de bonheur dans une belle maison résidentielle, une transition juste bizarre… Jacques Audiard semble faire un choix net pour le système d’intégration britannique alors que tout le film était irrigué par une absence de prise de position politique.
C’est d’ailleurs cette hauteur de vue, à la manière d’un documentaire, qui donne toute sa force à la première partie de Dheepan, en plus d’un très bon jeu d’acteurs non-professionnels. Alors que cette fin est bien trop testostéronée, et totalement irréaliste. Jacques Audiard a le droit d’aimer les films d’action de ce genre, mais la manière dont il le fait est très maladroite. Finalement, cette palme d’or ne récompense pas un chef d’oeuvre, mais plutôt l’oeuvre globale d’un réalisateur de talent.