Le cinéma français d’animation se porte-t-il si bien ?
La France est internationalement reconnue comme une terre fertile pour le cinéma d’animation. Mais, ce secteur vit-il une « véritable success story » comme l’affirmait Jack Lang en 2016 ou ne cache-t-il pas de grandes disparités économiques ? Zoom sur le cinéma d’animation qui représente en moyenne 14,7% des entrées dans les salles françaises selon un rapport du CNC de 2015.
Ce secteur bénéficie tout d’abord d’avantages historiques liés à l’importance de la bande-dessinée en Belgique et France : Tintin et Astérix sont des biens culturels que le monde nous envie. Et, bien entendu, avant d’animer les images il faut déjà pouvoir les dessiner. D’ailleurs, des acteurs importants du cinéma d’animation sont aussi des entreprises de référence de la bande-dessinée : Dargaud Media ou encore Dupuis Audiovisuel. La France peut également compter sur des champions mondiaux au sein de secteurs proches de l’animation : le jeu-vidéo (Ubisoft, Focus Home Interactive, Gameloft) et les effets spéciaux du cinéma traditionnel.
Une formation d’excellence
Qui dit réussite économique implique la création d’une formation de qualité pour fournir aux entreprises une main d’oeuvre qualifiée adaptée aux exigences du marché. Depuis 1974, l’école des Gobelins à Paris propose un cursus d’élite constitué de 20 à 30 élèves par promotion pour devenir concepteur et réalisateur de films d’animation. Si les Gobelins ont été des pionniers et demeurent l’école de référence dans le domaine, de nombreuses autres formations ont vu le jour : elles sont passées de 4 en 1998 à une quarantaine en 2008.
Cette explosion de l’offre de formations répond à une forte demande des étudiants se tournant vers ce secteur qui fait rêver. Pixar ou le japonais Miyazaki ont participé à cet engouement dans l’imaginaire populaire. Malheureusement, certaines formations ne peuvent pas honorer leurs promesses de débouchées malgré la hausse continue du nombre de salariés du secteur, tout en affichant des frais de scolarité élevés liés aux coûts de logiciels comme Maya ou After Effect. N’est pas les Gobelins qui veut.
A la recherche de la french touch
Si le volet technique est très important pour un salarié de l’animation, il ne faut pas oublier le volet créatif, artistique qui permettrait d’obtenir cette fameuse « french touch » à laquelle un livre a même été consacré, source du succès de nos films à l’étranger. Mais, qu’est-ce que signifie au fond ce mot valise que l’on retrouve dans toutes les industries culturelles et créatives pour l’animation ? Et bien, il y aurait notamment une explication dans le niveau en dessin demandé, bien plus élevé dans les écoles françaises que dans les écoles étrangères. Quand on regarde l’historique des films français d’animation, on s’aperçoit en effet que la direction artistique est souvent originale et décalée par rapport aux concurrents (ci-dessous un exemple concret avec les Triplettes de Belleville). Notre fameuse « exception française » !
Un écosystème de financements favorable
Le centre national du cinéma et l’image animée (CNC) s’est doté de nouvelles politiques spécifiques pour les secteurs d’avenir comme le jeu vidéo et le cinéma d’animation en plus du soutien automatique accordé à tous les films. Parmi elles, on retrouve le COSIP en amont de la production, le fond FAIA pour l’aide à la phase d’écriture et de développement ou encore l’aide aux nouvelles technologies en production (effets spéciaux numériques, images de synthèse, mises au point de procédés spécifiques, stéréoscopie…).
Les studios d’animation peuvent également s’appuyer sur les achats des télévisions. En effet, les plus gros pourvoyeurs de business pour l’industrie de l’animation restent les chaînes de télévision qui achètent ses programmes. Les chaînes historiques diffusent un peu plus de 4 000 heures d’images animées, soit 7,3% de leur grille en 2011, en majorité le matin. En 2008, France Télévisions a acheté pour 23,8 millions d’euros de programmes d’animation, TF1 pour près de 8 millions d’euro auprès d’entreprises comme Moonscoop (Titeuf), Media-Participations et Xilam.
Une réalité commerciale contrastée
Sur les 51 longs-métrages d’animation français diffusés à l’étranger, seule une dizaine ont fait plus de 1 million d’entrée dont deux succès à plus de 10 millions d’entrées (Le Petit Prince et Arthur & Les Minimoys). L’industrie française peine également percer sur le territoire majeur du cinéma qu’est l’Amérique du Nord et s’exporte encore majoritairement en Europe Occidentale et en Europe de l’Est.
Même en France, les films d’animation américains dominent largement avec 70% de parts de marché pour 22 millions d’entrée en 2015. Dans les parts de marché restantes, ce ne sont pas les productions franco-françaises qui font le plein, mais les coproductions avec les majors américains qui apportent plus 50% des financements du cinéma d’animation français ! Les raisons sont logiques : un plus grand nombre de copie distribué, une meilleure visibilité dans les multiplex et un budget en communication 3,2 fois supérieur.
Ce succès des films et coproductions américains met en péril les productions purement françaises qui sont souvent noyées dans la masse de l’offre proposée et frappées par une véritable série noire. Sur les sept longs métrages sortis sur la période 2006-2015, cinq n’ont pas trouvé leur public : Adama (65 000 entrées), Dofus (84 000), Avril et le monde truqué (117 000),Phantom Boy (151 000) et Tout en haut du monde (200 000).
Le film Dofus avait été un échec commercial pour le studio Ankama auquel nous avions consacré un long format
Outre une disproportion de moyens, le producteur de Ma Vie de Courgette Marc Bonny pointe du doigt une mauvaise définition des cibles du fait de l’importance de direction artistique. La french touch se retournerait contre nous :
« À tout moment de la conception d’un film d’animation américain, des modifications sont apportées pour qu’il rencontre son public, le plus large possible, à partir de 6 ans. En France, le point de départ n’est pas une cible marketing, mais l’idée et la vision d’un auteur. Cela donne des œuvres plus originales, mais au moment d’arriver en salles, le positionnement n’est pas toujours clair. Pour Dofus, que j’ai distribué, la cible était en fait plus âgée que je ne l’avais imaginé. »
Le cinéma français d’animation devra gagner en échelle s’il veut survivre face à la concurrence tout en respectant ses spécificités et son cachet. Il demeure que même si les productions sont de plus en plus financées par les majors, les débouchés sont encore nombreuses dans l’hexagone comme en témoigne l’augmentation continue des effectifs depuis 10 ans. Rendez-vous au Festival d’Annecy 2018, événement majeur du domaine, pour voir ce qu’il en est !