© L'épiphanographe - Dorian Cessa

Interview de Worakls : créateur de passerelles entre la musique classique et électronique

A l’occasion de la sortie de son premier album « Orchestra » et de sa tournée éponyme, débutée à l’Olympia le 15 février dans une salle bondée, nous sommes partis à la rencontre de Worakls qui a eu la gentillesse de nous recevoir pour partager son histoire et son approche de la musique. 

(Art Juice) Tu sors ton premier EP Unity à 20 ans. Ça peut paraître jeune, mais tu as baigné dans la musique depuis le plus jeune âge, notamment grâce à ton environnement familial. Inscrit à des cours de piano dès 3 ans, tu es également passé par le conservatoire. Dirais-tu que cela t’as propulsé ?

(Worakls) Bien sûr. J’ai globalement une famille qui aime la musique. Mon père est pianiste autodidacte, ma grand-mère adore la musique classique et ma mère adore juste me voir jouer (rires). Ils m’ont donné une opportunité immense en m’inscrivant au conservatoire aussi jeune, comme beaucoup d’autres enfants d’ailleurs !

(A.J) Tu n’as pas eu envie d’arrêter à l’adolescence ? 

(W) Même avant, j’ai arrêté les cours de piano à 12 ans. Le fait d’être dans des groupes m’a relancé dans la musique. Avec des potes on faisait des reprises, mais on essayait aussi de faire des compos. Mes premières compos, je les ai faites à cet âge-là. C’est le moment où tu commences à être piqué par la passion, avant tu l’as, mais tu ne sais pas que c’est aussi important pour toi. À 6- 7 ans, trouver les 3 ou 4 notes qui sont les miennes, cela me plaisait déjà, mais tu ne sais pas encore que tu vas en faire ton métier. Tu te rends également compte du regard que les gens portent là-dessus. Je pense que ça peut-être un élément déclencheur.

Quand j’ai commencé mes premiers concerts en-dehors de l’école de musique, devant un public, il y avait un vrai truc. Les gens te félicitent, tu te dis que ce que tu fais n’est pas si ringard et tu as envie de plus creuser le truc. Pareil, quand j’ai arrêté le piano et vu ma grand-mère pleurer, j’ai alors réalisé l’importance que ça avait pour les gens, sans trop pouvoir l’expliquer. C’est un peu mélo, mais franchement ça m’a touché !

(A.J) Et comment tu as fait la transition du rock vers la musique électronique ? 

(W) Très naturellement, en grandissant, et en commençant à aller dans les clubs. Un jour où je n’avais pas encore l’idée de produire de la musique électro j’ai vu Eric Prydz, en live, au Red Light, et j’ai pris une grosse baffe.

(A.J) D’ailleurs, tu faisais quelque chose avec le Red Light non ? 

(W) Oui, j’étais RP (Relation Presse), je collais des affiches, je distribuais des flyers. Cette soirée-là était après la Techno Parade en 2008 ou 2009. Du coup tous les weekends, j’entendais un peu les mêmes choses, les sons du moment, et lui il est arrivé avec ses propres univers, ses propres morceaux. La baffe violente. Je me suis dit que tu pouvais créer ton propre univers, que tu pouvais tout faire. S’il y a autant de possibilités, pourquoi ne pas y jeter un oeil ? Et, je l’ai fait un peu comme si tu te lançais dans un jeu vidéo. Tu télécharges le logiciel, illégalement bien sûr (rires). Au bout de deux mois de pratique, j’étais fixé sur ce que je voulais faire. `

(A.J) Est-ce que tu dirais qu’internet t’as aidé dans ta carrière ? 

(W) Le bouche-à-oreilles provoqué par internet était déjà là à mes débuts, même s’il n’était pas aussi présent que maintenant. Tu as directement des retours, et tu sais si ça va le faire ou pas. Une chance que des artistes plus anciens n’ont pas eu.

(A.J) On sent l’héritage du conservatoire chez toi et de la musique classique. 

(W) Au départ, j’ai commencé par la techno minimaliste, puis je me suis ouvert à la minimale plus mélodieuse. Puis, j’ai continué le process en ajoutant mes influences : Beethoven, ou même les musiques de films. Et, j’en ai mis de plus en plus, en les assumant toujours davantage, en les mettant au premier plan. J’ai vraiment envie de créer des passerelles entre les deux univers.

(A.J) D’où cette tournée avec un orchestre ? 

(W) Exactement ! L’orchestre permet également d’être plus live. Moi, je vais voir beaucoup de musique classique en concert et j’adore cette synergie sur scène entre 80 personnes. On ne sera malheureusement pas autant (rires), mais déjà une petite vingtaine. Il y aura déjà cet effet-là. Tout ce qui est orchestral sera joué par les musiciens à la place de l’ordinateur.

(A.J) Tu as prévu beaucoup de dates ?

(W) Pour l’instant une petite dizaine, car c’est un projet complexe et difficile à produire, parce que très coûteux. On a préféré y aller tranquille pour contrôler le truc. Je ne fais pas cette tournée pour gagner de l’argent (rires). C’est vraiment un projet pour faire naître mon bébé. J’avais envie de proposer quelque chose de différent, une véritable expérience aux gens pour mon premier album, de repousser les limites.

(A.J) Peux-tu nous parler de ton morceau « La parisienne », une reprise de la Marseillaise, en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre.

(W) Je suis un artiste dans cette société. Sans aucune prétention, j’ai voulu retranscrire mes émotions. Ce n’était pas simplement un attentat, mais un vrai carnage d’une cruauté extrême. D’avoir enfermé ces gens et de les avoir pris au piège. On a tous ressenti une unité contre ces gens et cette oppression idéologique. Pour répondre à ces attaques contre notre culture, j’avais envie de répondre par la culture, à travers notre hymne. Pas pour me l’approprier du tout, mais pour proposer quelque chose qui convenait à l’événement. C’est délicat à faire, car cela peut prêter le flanc à la récupération. Je ne vendrai donc jamais le morceau et je le laisse gratuitement sur Youtube. C’est une pierre, comme j’aurais pu prendre un train pour venir déposer une gerbe de fleurs.

(A.J) Que penses-tu de la scène électronique actuelle ? 

(W) Je corresponds plus à des plateaux deep house. Je suis content de la popularité de la musique électronique, mais je ne me cantonne pas à elle. Je veux aller vers quelque chose de plus large. Le fait d’inclure un orchestre donne d’autres codes et ouvre vers une autre tranche d’âge. Il ne faut pas avoir peur de le dire. C’est une passerelle qui marche dans les deux sens : de mon public actuel vers la musique classique, mais aussi d’un nouveau public plus âgé vers la musique électronique.

(A.J) Ces deux publics semblent clairement imperméables.

(W) C’est normal. Si un auditeur de musique électronique met Radio Classique, il va tomber sur un os. Quand t’écoutes de la musique classique toute la journée, tu demandes une programmation plus pointue à ces radios spécialisées. On ne va donc pas te faire découvrir la musique classique avec des choses plus accessibles, comme la 9ème ou la 5ème de Beethoven. Pourtant, ce sont des morceaux qui peuvent plaire et il y a des passerelles. On le voit aussi avec les artistes de musiques de films qui deviennent pour certains de véritables stars comme Hans Zimmer (Gladiator, Batman, Pirate des Caraïbes, Interstellar). Moi, j’écoute quasiment que ça avec le classique.

Worakls et les musiciens de son orchestre

(A.J) Comment s’est passé la création de ton label avec Joachim Pastor et NTO en 2015 ? Ce sont des potes à toi ?

(W) On faisait déjà notre propre musique à l’époque, très différente des autres. On voulait donc être indépendants du milieu et des plateformes, de la production à la diffusion. Je trouve ça inspirant de me dire : je fais ce que je veux.

Effectivement, j’avais déjà beaucoup travaillé avec NTO. Quant à Joachim Pastor, on le connaissait vite fait par internet, mais on est retombé sur lui à la création du label. Une chance.

Dernier morceau de Worakls en date : « Cloches »

(A.J) On peut dire que votre musique est complémentaire.

(W) Je pense qu’il y avait un créneau pour la musique très mélodique si on regarde la situation avec du recul. Même les artistes qui faisaient du mélodique se retournaient alors vers de la musique plus club. Il y avait un manque à combler, et on faisait tous les trois des sons plus mélodiques.

(A.J) Pour finir, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ? 

(W) De réussir à sortir des frontières. On a déjà un beau succès et on est très content, mais on veut toucher d’autres pays. On espère également être dans la programmation des festivals de cet été. Personnellement, j’ai également d’autres projets dans le cinéma et les jeux vidéo qui sont des domaines qui m’intéressent beaucoup.

Fondateur du site artjuice.net, passionné par les nouveaux médias et la culture contemporaine.