Jackie divise avec Natalie Portman – Cinéma et Politique #02
En ces temps de campagne présidentielle, nous avons décidé de vous concocter, tous les samedis, une critique cinématographique avec pour thème la Politique. Pour ce deuxième numéro, nous nous intéressons à un film récemment sorti : Jackie. Biopic à Oscars pour les uns, film indé pour les autres, Jackie divise autant qu’il passionne ! Deux de nos rédacteurs n’ont pas du tout vécu de la même manière le film, ils racontent…
POUR
Jackie n’est ni une hagiographie ni un film historique, c’est le portrait d’une femme sur les quelques jours suivant l’assassinat de son mari. Elle, c’est Jackie Kennedy ; lui, le 35e président des Etats-Unis J.F. Kennedy. Glaçant et passionnant, le film propose un rôle « payant » à son actrice principale, Natalie Portman, qui sublime le rôle. Au-delà de sa beauté, elle apporte au personnage une folie fragile qui fait écho à son rôle de Nina dans Black Swan.
Le film vaut également pour sa mise en scène et son scénario : c’est une mise en abîme de l’état du personnage avec le décor et les personnes qui l’entourent. La Maison Blanche comme Maison Officielle du Peuple aux yeux de l’Amérique, mais qui devient la représentation de l’état dans lequel Jackie se plonge. L’errance de cette femme en tailleur Channel dans les couloirs de cette maison représente les méandres de sa propre folie qui n’est pas sans rappeler l’hôtel de Shining de S. Kubrick. Car, c’est aussi un film sur le paradoxe de la représentation officielle et de sa vérité.
Le film s’ouvre sur la rencontre entre un journaliste et Jackie en vue de la publication d’une interview quelques jours seulement après le décès de JFK. Jackie veut faire de son mari une icône, à la fois pour lui rendre hommage mais aussi pour qu’elle-même ait une existence publique. Cela justifiera l’organisation fastueuse, mais compliquée, des funérailles voulues par Jackie. Les spectateurs ne doivent pas s’attendre à être émus par le film dont ce n’est pas le but ! Non, c’est autre chose ! C’est la vision d’une Amérique qui sombre dans la folie et dont l’image – superficielle – médiatique reste la priorité même en tant de crise. Passionnant.
Jean-Benoît Henry
CONTRE
Superbes successions de plans cinématographiques d’une heure et quarante minutes, le film Jackie mérite une exposition et l’oscar de la meilleure photographie. Mais c’est sûrement tout, et c’est déjà bien assez. Pour l’émotion, on se contentera de visionner la bande annonce, qui m’avait fait croire naïvement que ce biopic allait « me bouleverser ». Le parti pris est d’élever Jackie au rang de Madone de la nation, petite chose perdue, se sentant presque obligée de s’immortaliser dans l’Histoire car devenue, malgré elle, une Kennedy.
Le peu que je connaissais de Jackie Kennedy-Onassis versait certes dans le cliché – femme trompée, froide, maître d’elle-même et piquant Aristote Onassis à la belle Callas – mais avait au moins le mérite de donner à la 35ème première dame des Etats-Unis une certaine stature. Pablo Larrain semble si ravi d’avoir autant de glamour entre ses mains (entre Jackie et Natalie Portman) qu’il ne sait plus quoi en faire. A ne plus savoir comment diriger sa superbe actrice, qui se perd en larmoiements – compréhensifs mais fatiguant – et postures de « grande dame » aux punchlines mal placées et peu crédibles : « Vous ne l’écrirez pas car je ne l’ai pas dit » …
La grande déception est de passer à côté de Jackie et de ne pouvoir éprouver de véritable compassion à son égard, tant son deuil parait peu crédible alors qu’il est au centre de l’histoire. On n’a pas vraiment envie de sécher ses larmes, de déambuler soûl dans la Maison blanche à ses côtés et de se plier à ses volontés. On la regarde de loin, comme une diva qui semble s’être trompée de plateau et on passe vite à autre chose …