J’ai vu Modi, le premier ministre indien

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Ce matin, journée comme les autres, je suis réveillé par ces pigeons peu fins, je prends ma douche froide avec le robinet de la salle de bain, je prends mes médocs anti-paludisme. Quand j’arrive pour dire « Bonjour » à mes collègues qui lisent les journaux, ils m’apprennent que Modi va venir faire un speech à Hazaribag ! « Mais oui bien sûr ! » me dis-je. En ce moment se déroulent des élections pour élire le chef de l’Etat du Jharkhand. Enfin de là à ce que le Premier Ministre de l’Inde se déplace pour venir soutenir le candidat local du BJP dans la petite bourgade d’Hazaribag, il y avait encore un pas supplémentaire à effectuer. Je repense à cet article du Monde de l’autre jour dans lequel le journaliste écrivait: « Six mois après son élection, Modi est toujours en campagne ». Pour qu’il vienne se déplacer dans un petit bled comme le mien, ça m’en a tout l’air en effet.

Sur le Times of India, il est indiqué que Modi atterrira à 10h à l’aéroport de Ranchi, la capitale de l’Etat du Jharkhand. Du coup, en supposant qu’il prenne la voiture, on table sur un 12h à HZB. Mais voilà qu’à 11h30, un bruit résonne dans le ciel, je ne fais même pas attention, après tout en France, on entend des hélicos dans le ciel de temps en temps. Mais là, tous mes collègues s’exclament : « Il arrive ! » Héhé, le zigoto ne va quand même pas prendre la voiture, faut pas exagérer. Ça me choque un peu quand je vois l’état de dénuement dans lequel mes voisins vivent.

Du coup, je fonce derrière Sunnil à l’esplanade de Gandhi pour aller écouter Modi soutenir le candidat local. C’est assez ironique en fait car Modi, le nationaliste hindou n’a jamais toujours caché sa désapprobation pour l’héritage laïque de ses illustres prédécesseurs Nehru et Gandhi. D’ailleurs en 2002, on se rappelle encore les sanglants massacres de Musulmans dans le Gujarat (1000-2000 morts) alors que le chef de l’Etat n’était autre que … Narendra Modi. En tout cas, vu le nombre de gens sur la route, ça n’a pas l’air de desservir sa popularité. Je suis pensif. Et vraiment étonné.

Plus on avance sur la route, plus Sunnil doit utiliser ses talents de pilotes pour se faufiler entre les voitures, les policiers avec leurs tenues moches, les rickshaws, les gens à pied, etc. ça devient vite impossible, on laisse la moto de Sunnil sur le chemin. Evidemment personne n’a pensé à bloquer l’accès des véhicules motorisés ni des voitures aux alentours de l’esplanade. Donc c’est encore le bordel, ça klaxonne un max. Une vraie fourmilière !

Depuis les toits on regarde aussi!

Le public de Modi me semble être caractérisé par une très grande majorité d’hommes en dessous de 35 ans. Je ne vois quasiment pas de femmes. Le nombre de jeunes est assez faramineux. On parvient finalement à l’esplanade. Tout de suite, je souris. J’ai l’impression d’être aux Vieilles Charrues. Pas le droit aux bouteilles ni aux bouchons. On se faufile entre les gens pour essayer de voir le charismatique tribun qui va bientôt prendre la parole. Ça pousse beaucoup. Les gens sont tout excités. En France, n’importe quel Homme politique adorerait pouvoir réunir une telle foule (15 000 personnes au moins à vue d’oeil) pour une ville comme Hazaribag qui compte environ 150 000 habitants. C’est juste impressionnant. Le Roi Modi ! comme titrait le Monde. A coté de moi, des hommes en béquille (enfin si je puis dire car les cannes qui les aident à marcher sont dans un piteux état) ont tenu à faire le douloureux déplacement. En fait, c’est même mieux qu’aux Vieilles Charrues car les Indiens sont plus petits que les Français ! Du coup, comme je dépasse la plupart des gens d’une tête, je ne rencontre aucun problème pour voir Modi avec son traditionnel habillement blanc. Malheureusement, on est quand même assez loin. Quand il commence à prendre la parole avec sa voix grave et virile, la foule est en délire, sans exagération de ma part. Ça me fait un peu peur un tel pouvoir entre les mains de ce Modi là. Il doit se sentir puissant l’animal.

Foule en délire

Devant nous, des policiers au regard noir abusent de leur pouvoir et poussent violemment les gens. Parfois, un malchanceux prendra un coup de batte. Je ne les aime vraiment pas ces gens là. C’est tellement laid d’abuser de son pouvoir comme ça. Ça me répugne. Mais rapidement, la foule se venge et effectuant un retour de flamme vers l’avant qui manque d’emporter le lâche policier.

Puis à un moment tout le monde rigole, je fais de même évidemment. Oui il y a quand même un petit problème pour moi, je ne comprends absolument rien. Une personne (moi) sur 15 000 n’a pas compris sa blague ; 99,993% des gens l’ont comprise (quoique je ne prends pas en compte les enfants en bas âge et les malentendants). Comme OSS, j’ai envie de crier « Allah Akhbar ! » pour montrer ma solidarité. Ah non c’est vrai, ici ce sont des hindous, il vaut donc mieux éviter. Je réfrène donc mes pulsions.

Star wars

Les gens se sont vraiment donnés pour l’évènement, beaucoup portent des bonnets BJP ou ont acheté des masques Modi. J’en glane un par hasard ! Qui sait ? ça peut toujours servir pour une future soirée déguisée à l’IEP. Sur tous les scooters ou presque, y’a les drapeaux verts et orange du BJP.

Te be Taken

Modi finit son speech, les gens ont l’air satisfait. Certains portent les grandes pancartes en carton représentant le portrait de Modi. C’est la foire pour repartir, alors on attend que ça passe. Avec deux de mes collègues, je discute de Modi. Je leur demande s’ils vont voter pour le BJP.

– « Naturellement».

– « Mais pourquoi, ce parti est mieux que les autres ?».

– « Oui oui, il veut développer l’éducation et l’emploi dans le Jharkhand et l’Inde !» Comme je suis d’un naturel chiant surtout quand je ne suis pas d’accord, je réponds :

– « Le parti du congrès et les autres partis ne veulent pas développer l’éducation et l’emploi eux ?». Mon collègue me répond que le parti du Congrès est très corrompu ici et qu’ils ne se soucient pas des gens. Il a peut-être raison. N’empêche, je réponds :

– « le BJP a été au pouvoir dans le Jharkhand 10 ans sur les 14 dernières années pourtant dans le Jharkhand non ? »

– « Oui oui mais, c’était le parti du congrès qui régnait au niveau national… Tu n’aimes pas Modi hein ? ».

– « En fait, je ne sais pas. »

– « Tu n’aimes pas Modi ? ».

– « Je ne sais pas, je ne sais pas. »

– « Accha accha, tu ne l’aimes pas. »

– « Nahi Nahi !!! I don’t know ! » ; mon collègue ne parle pas bien anglais malheureusement et je pense qu’il croit que « I don’t know », ça veut dire « Je ne l’aime pas ». Mes explications supplémentaires en Anglais sont inutiles.

Je lui pose des questions sur les massacres dans le Gujarat en 2002. Il n’a pas l’air plus choqué que ça. Tout de même, j’arrive quand même à plutôt bien communiquer avec lui malgré nos difficultés respectives dans les langages maîtrisés par l’autre.

Au Kashmir en ce moment, c’est très instable. Des Pro-Pakistanais profitent de l’hiver et de la neige pour pénétrer en Inde. Chaque jour, il y a des morts. Je vous racontais l’autre jour que les Naxalistes avaient tué une personne lors d’un meeting politique. Et maintenant je pense au Gujarat en 2002 avec ces émeutes. Les gens, les journaux, la télévision en parlent bien sûr mais c’est tellement courant que j’ai presque l’impression que ça ne choque plus personne. Je me rends compte qu’ici, la vie humaine a quand même moins de valeur symbolique.

Et heureusement pour Modi !

Qu'il est laid

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