Marie des poules : bouleversante gouvernante chez George Sand

Très remarquée à Avignon, la pièce « Marie des Poules » de Gérard Savoisien triomphe actuellement au Petit Montparnasse. Elle revient sur l’histoire vraie de Marie Caillaud, dont les quelques années au service de George Sand bouleverseront la vie. Mise en scène par Arnaud Denis, qui interprète également le fils de la célèbre romancière, « Marie des Poules » offre à travers sa portée artistique et la richesse de son écriture une magnifique émotion théâtrale.  

Incandescent récit d’un amour…

« Je ne bois plus » assène Marie, attablée, seule, les yeux vitreux et la voix tremblante. La phrase enclenche le récit qui se déploiera tout au long de la pièce. Une façon de donner à « Marie des Poules » la forme d’une histoire personnelle racontée par une femme qui revient sur un épisode de sa vie.

Sur la scène, une maison de poupée, un voile d’éclairages tamisés et un surgissement de marionnettes évoquant l’univers des contes. Dans les mots, la vie de Marie Caillaud, dite « Marie des Poules », embauchée comme gouvernante de George Sand. Travailleuse brave et serviable, la jeune fille est rapidement remarquée et appréciée. La grande écrivaine se met en tête de l’instruire, et son fils Maurice Sand de la séduire.

L’enjeu narratif se fait alors double, se développant à la fois dans une histoire d’amour naissante et dans l’éducation de Marie. La transformation et l’émancipation de l’héroïne provoquent un trouble de plus en plus manifeste chez le jeune homme. La passion qui émane de leur liaison se trouve transcendée par la magie de l’éclairage. L’indicible est suggéré par un jeu d’ombres entre Marie et son amant, dont la forme projetée des mains enveloppe la silhouette de la jeune femme. Ces moments de grâce s’épanouissent dans la délicatesse de la mise en scène et les décors aux couleurs douces et chatoyantes.

…  et éloquent portrait d’une époque

La force émotionnelle qui se dégage du récit doit beaucoup à la magnifique prestation de Béatrice Agenin, qui interprète à la fois Marie des Poules et George Sand, passant de l’une à l’autre dans un extraordinaire jeu de voix. L’actrice, ancienne sociétaire de la Comédie française, donne à ces deux rôles une ambivalence passionnante. Elle campe une Marie forte, dont l’intelligence et l’ascension forcent l’admiration, mais qui se trouve démunie face à l’amour qu’elle ressent pour Maurice. Quant à George Sand, son ambiguïté et ses ambitions pour son fils cèleront le destin de Marie. Elle incarne une figure féministe et brille dans son rôle d’éducatrice, mais ne s’émancipe jamais des conventions sociales et de son avis sur le privilège de la naissance que dénonçait pourtant Beaumarchais un siècle auparavant.

Il y a enfin, et continuellement, l’évocation de célèbres artistes qui finissent par habiter complètement la pièce. Alexandre Dumas fils, souvent, Eugène Delacroix, évidemment, mais aussi Nadar, Baudelaire, Gustave Doré… Autant d’allusions aux révélations et aux révolutions artistiques du XIXème siècle qui inscrivent l’histoire de Marie dans son cadre historique. Un tournoiement étourdissant qui fait écho à l’émulation et à l’émotion que décrit la jeune gouvernante au retour de son premier séjour à Paris.

En cela, « Marie des Poules » s’apprécie à la fois comme la plus romanesque et romantique des œuvres de fiction, mais également comme un beau et précis témoignage d’une époque.