Michalik, amoureux des histoires
Histoire d’amour ? « Et pourtant, pourtant… » chantait Charles Aznavour. Ruptures. Les séparations sont au cœur de l’histoire que raconte Alexis Michalik, comédien et metteur en scène dont la patte se révèle à travers un sens du dialogue énergique. Le talent d’un dialoguiste marié à une mise en scène contemporaine. Sans répit, changements de canapés après changements de saisons, de culottes, de blouses blanches, de projections et d’ambiance musicale, c’est la mise en scène qui donne le tempo.
D’accélérations en brèves dilatations, les émotions aussi défilent sans se fixer. Nous avons Claire, le temps d’une danse, pour savourer une joie étrange : celle que nous laisse la douleur d’un accident. Oui car, souffrir est parfois « tout ce qu’il [me] reste » d’un grand amour, tels sont les mots de William interprété par Alexis Michalik.
Pourquoi « une » histoire d’amour ? Il semblerait que l’auteur ait saisi l’importance que nous accordons (ou que nous accordions ?) à l’unique. Déclarant au singulier qu’en amour, le rare existe dans l’indéfini : l’article « un ». Ce n’est pas l’histoire de L’amour, « et pourtant » cela se pourrait. Ce n’est pas non plus l’histoire de la seule fois que Katia (qu’on hésite à placer au centre de la pièce) est tombée amoureuse, mais cela se pourrait bien aussi… Toutes les histoires alors ? Celle de Justine, amoureuse d’une femme pour la première fois, celle de Katia et de son frère William (que l’on n’hésite pas à placer au centre de la pièce), tous deux élevés au manque, à la perte, qu’il faut vaincre, qu’il faut sublimer. Celle de la petite Jeanne pour la littérature ; et Claire, notre respiration dansée.
A moins que ce ne soit celle chantée par Aznavour qui, « un beau matin », le cœur délivré, «retrouver[a] la raison », « trouver[a] le repos »… Un chant d’ouverture clamant la valeur du lien amoureux lorsqu’il est singulier, lorsqu’il est inattendu. Toute la pièce découle de cette tension : de la légèreté à vivre la douleur des émotions. Le mélodrame est traité de manière envolée, sincère bien que convenu, enjouée bien que les blessures soient profondes.
Il pourrait être aisé pour un cynique de sombrer dans la culture de désillusion qui berce notre époque (frileuse à prendre des risques). Il n’en est pas question. Alexis Michalik est un magicien. Sa plume un brin déjantée ne lâche rien au désenchantement. La place de Jeanne, enfant au potentiel intellectuel remarquable, se charge très bien de désarmer tonton William, unique représentant de sexe masculin. Sans aucun doute, les cœurs sensibles ne se priveront pas de larmes ni de rires.
La pièce dure une heure vingt-cinq et emprunte volontiers les codes narratifs d’un téléfilm. Relations et intrigues tour à tour miroitent et modèlent nos vies quotidiennes, nous invitant à desserrer les liens du sang et les renouer tantôt. Un film grandeur nature, avec l’authenticité des quatre comédiennes et du comédien en prime. Efficacité de la dramaturgie et douceur du cynisme au rendez-vous.
Une histoire d’amour, Alexis Michalik
Du 9 janvier au 31 mai 2020 au théâtre La Scala, Paris
avec Pauline Bression, Juliette Delacroix, Alexis Michalik, Marie-Camille Soyer, et en alternance Lior Chabbat, Violette Guillon et Amélia Lacquemant
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