Paradise Now : Voyage au coeur de la tourmente des Palestiniens – Cinéma et Politique #03
A l’occasion de cette troisième critique politique, nous quittons le monde occidental. L’actualité internationale de ces derniers mois avec notamment l’arrivée du nouveau président américain nous a donné envie d’aller faire un tour au « Middle East ». Ce samedi, haro sur un conflit largement analysé depuis des décennies mais pas pour autant résolu. Paradise Now (2005), du réalisateur néerlando-palestinien Hany Abu-Assad dont on avait particulièrement apprécié Omar (2013) relate l’histoire tristement classique de deux jeunes palestiniens qui, du jour au lendemain se retrouvent désignés pour aller faire un feu d’artifice sanglant à Tel Aviv.
Le film ne commence pourtant pas sous d’aussi tragiques auspices. Saïd et Khaled semblent presque couler une existence paisible et sans vague à Naplouse, deuxième ville de Cisjordanie après Ramallah. Perchés sur les collines environnant Naplouse et non encore annexées par les colons israéliens, ils boivent le thé et fument la chicha avec ce flegme si caractéristique de la Palestine. Ils prennent le temps, parlent peu. Saïd flirte tranquillement avec Suha, la fille d’un riche notable local. Bref, ils se laissent vivre.
Mais c’est le calme avant la tempête. Et d’ailleurs, alors que Saïd cueille les olives locales, sa mère le trouve bizarre. L’action se met soudain en branle comme si on avait fini par appuyer sur le bouton « Play ». Les deux personnages principaux sont alors tour à tour en proie à des doutes sur le bien-fondé de l’acte qu’ils vont accomplir. Doivent-ils se faire exploser ? A eux seuls, Saïd et Khaled illustrent les déchirements internes d’une société palestinienne en pleine crise morale. Mais comment faut-il résister à l’occupation ?
Certains choisissent la voie violente et ce, malgré l’extraordinaire déséquilibre entre les « forces » en présence. « Mourir en martyr c’est exercer pleinement sa liberté dans la prison à ciel ouvert qu’est la Cisjordanie » justifie l’un des instigateurs de l’attaque. Et sa liberté, Saïd la chérit plus que tout, hanté qu’il est par son désir de reconquête d’une dignité qu’il considère avoir perdu à l’âge de 10 ans quand son père, travaillant en secret pour le compte de l’armée israélienne s’est fait assassiner par les siens. Et puis, il faut bien que les Israéliens paient d’une manière ou d’une autre de toute façon, ils ne peuvent pas s’en sortir comme ça. Au grand désespoir de Suha qui affirme que de telles actions donnent in fine raison à l’occupant. Elle a choisi l’option pacifique militante via son ONG. Mais pour Suha qui a la chance de vivre relativement confortablement dans un quartier chic alors que des milliers de ses compatriotes vivent dans des camps, il est facile de prôner le pacifisme estime Saïd.
En fait, face à un occupant à la fois bourreau dans les actes et victime dans la rhétorique, Saïd and Khaled ne savent plus quel rôle eux-mêmes jouent. Ainsi, la crise morale se double d’une crise identitaire.
Le réalisateur n’épargne personne tout en n’émettant aucun jugement de valeur. Aucune vérité définitive ne nous est assénée. Ni héroïsme, ni solution miracle ne nous sont proposés. Triste ? certainement, mais ô combien réaliste. Hany Abu-Assad critique même ceux qui choisissent de ne pas choisir. Le photographe qui fait du business tant sur le dos des martyrs que des « collabos » en enregistrant leur testament en prend pour son grade. Sans lourdeur ni superflu, tous ces questionnements s’insèrent habilement en parallèle de l’action, soulignant bien leur degré d’imbrication dans la vie quotidienne de la société palestinienne.
Une des fonctions du cinéma, c’est de remettre nos vies en perspective, les relativiser au regard d’autres réalités. Paradise Now remplit parfaitement ce rôle, si bien que pendant une heure et demi, le spectateur se retrouve plongé au cœur du Proche-Orient et de ses tourments. Très réussi.