Au fin fond de la nuit cisjordanienne
Jeudi soir, on part avec Cam louer une caisse à Jérusalem qui nous permettra d’aller à Tibériade. Les locations de voitures israéliennes sont de meilleure qualité et moins chères que leurs homologues palestiniennes. En arrivant aux locaux d’Hertz, traditionnelles questions sur ce que l’on compte visiter avec la voiture, qui on est, etc. La femme en face de nous a une étoile de David tatoué sur le bras, mieux vaut pas déconner ! Implicitement, il est interdit d’aller en Cisjordanie avec, interdiction que l’on ne va pas respecter. Ca commence à être très désagréable de devoir tout le temps mentir, de ne pas se sentir le bienvenu. Israël est un pays parano et donc relativement aggressif (ça on le savait déjà), également avec les internationaux.
Très en retard sur le programme initial, on passe chercher Emilien et on décolle rapidement pour Naplouse où l’on va chercher les potes françaises d’Emilien et Cam. Du coup, on sera obligé de passer par la Cisjordanie et de franchir un checkpoint israélien au nord de Jénine. Avant de rentrer à Naplouse, on se goure de route et on rentre dans une colonie israélienne, OUPS! On a peur de se faire tirer dessus par les soldats mais finalement on s’en tire à bon compte ! Tel n’est pas le cas de tout le monde… En effet, sur la route, on assiste à une fouille vraiment humiliante de Palestiniens par des soldats israéliens, la scène est dure, la plus dure de mon séjour ici probablement. Ils ont les mains dans le dos sur le côté de la route, tenus en joue par Tsahal, qui possède littéralement leurs vies entre ses mains. D’un claquement de doigt, elle pourrait les tuer. Les soldats poussent sans ménagement les Palestiniens sur le côté, qui forcément, obéissent avec docilité. Je me dis que je ne peux rien y faire, ayant malhereusement oublié de prendre l’AK-47 dans le garage.
Courte halte à Naplouse où on prend le thé. A partir de maintenant, les filles sont censées connaître la route. Il s’avèrera plus tard que ce n’était pas franchement le cas. Et en effet, au bout de 3/4 d’heure, on est complètement perdus. Notre seul outil, c’est une carte donnée par Hertz, très imprécise en ce qui concerne la Cisjordanie. Heureusement, on peut compter sur les nombreux GPS humains palestiniens pour nous aider. Certains ne parlent pas un mot d’anglais, heureusement que ce n’est pas le cas de Cam et Emilien concernant l’arabe. Un type décide finalement de nous accompagner en voiture. La Cisjordanie, y’a quasiment aucun panneaux, c’est un gros bordel. Si tu ne connais pas la région, il faut savoir te répérer grâce à ta boussole interne approximative. Le gars cesse de nous escorter une fois arrivés dans un endroit sombre. Il explique à Emilien pendant 15 min le chemin en arabenglish. Il nous dessine un plan avec des indications en arabe ! Très utile du coup…
Pendant ce temps, des voitures étranges rodent autour de nous à faible vitesse. Mieux vaut pas moisir ici. En Palestine, les aggressions dans la rue n’existent quasi pas, certes mais bon, toujours est-il que 4 blancs et un métis (Emilien) dans une voiture israélienne dans la nuit noire en pleine Cisjordanie, il faut quand même rester sur ses gardes. On suit les consignes du type et à notre grand désespoir, on se retrouve à la sortie de la ville de … Naplouse. Une heure de route pour rien ! Pas grave, ça arrive. On parvient à prendre la direction du Nord et après quelques petits détours de 10-15 min respectifs on atteint finalement Jénine. On s’arrête acheter des trucs à manger dans une épicerie du coin. Des types bizarres viennent nous parler. Un d’eux est apparemment bourré et touche une des filles, le truc qui normalement n’arrive jamais ici ! Décidément il est temps qu’on arrive ! Jénine, ça a l’air vraiment nul comme ville en plus. C’est très laid.
Bon, on arrive au checkpoint, il est 1h du matin, il est fermé naturellement. C’est malin tiens. Et le checkpoint de Jénine, c’est pas le petit checkpoint du coin hein. Il est im-pres-sion-nant!
Résultat des courses, on est coincés devant un checkpoint fermé au fin fond de la Cisjordanie… Par miracle, un chauffeur de taxi s’arrête à côté de nous et propose son aide. Ce pays est comme ça, c’est un immense bordel (je le répéte une fois de plus car c’est le cas), certaines choses sont dues à l’occupation et au manque d’argent, d’autres relèvent plus de la culture. Cette absence de panneau, les routes en très mauvais état, les déchetteries en plein air, tout cela est compensé par la serviabilité des gens qui acceptent de prendre une grande partie de leur temps pour vous aider. Ce chauffeur de taxi a des clients à l’arrière de son taxi, il parle mal l’anglais et pourtant il reste tant que nous n’avons pas compris par où aller. Deux autres gars sortent de nulle part, par chance ils parlent anglais ! Tout ce petit monde nous explique qu’il y a un checkpoint ouvert 24h/24 à l’est de la Cisjordanie. On reprend espoir, on fonce vers là-bas !
Mais les ennuis ne font que commencer.
En fait, on va passer 1h30 autour de Jénine à chercher notre route dans un noir assez complet. On voit la solidité d’un groupe à la façon dont il gère les crises. Le calme avec lequel on a affronté la situation avec Emilien, Cam et Alice était vraiment salvateur. Eloïse prenait sur elle pour ne pas trop râler, mais ne pouvait s’empêcher de laisser échapper des agaçants: « Bon, on rentre à Naplouse ! » Les autres affrontaient avec un calme olympien ce genre de remarques désagréables, inutiles et déprimantes. (Oui, rien que ça !) Je les appréhendais pour ma part avec plus de difficultés, tellement je déteste entendre des remarques négatives dans les situations difficiles. Pour moi c’est un peu comme si face à une hypothétique mort immimente, vous arrêtez de vous battre, vous vous mettez à genoux, vous commencez à pleurer criant que vous allez mourir. C’est aussi un peu comme si dans un match de volley mal embarqué, vous déclarez forfait car vous venez de vous prendre deux boîtes de suite. Je ne supporte pas ça. J’ai besoin de garder le moral dans ce genre de moment pour continuer à réfléchir avec lucidité et ce genre de personne est clairement un frein à la réflexion calme et posée.
Bon, j’exagère car elle a énormément pris sur elle pour ne pas être trop négative. En attendant, après des tours et des tours, chacun y allant de ses théories, on finit par trouver la route, improbable route d’ailleurs. On passe sur un chemin de terre et sur les bords, on peut voir de très grandes tentes, qui ressemblent à des équipements militaires. C’est hyper flippant. Il y a des types sur un espèce de balcon qui nous mattent, peut-être des soldats, on va leur demander notre chemin. C’est bien la route ! Un peu plus loin, on se retrouve dans un petit village encore plus sale que les précédents. On se perd à nouveau ! Heureusement que la Cisjordanie est petite (5640km² contre 6775 pour l’île et Vilaine ou 6733 pour le Finistère) car sinon il y aurait déjà longtemps qu’on aurait épuisé l’essence. Dans ce petit bled, Emilien va demander à une dizaine de gars notre route. Ils sont un peu menaçants et avant même de dire bonjour, ils demandent à Emilien d’où est-ce qu’il vient. Après avoir indiqué qu’il est français, les choses s’arrangent car à la vue de 4 blancs dans une voiture israélienne, ils avaient dû nous prendre pour des colons. Peu après, on retrouve la route ! Bientôt on atteint le fameux Check-point ouvert 24h/24. Habituelles questions sur notre provenance, contrôle des passeports, regards étonnés quant à notre présence tardive au plein coeur de la Cisjordanie. Tout rentre comme dans du beurre finalement.
Voici à peu près le parcours que nous empruntâmes !
On arrive à Tibériade à 4h45 du matin, on réveille l’hôtelier (après avoir trouvé l’hôtel dont nous ne connaissions pas l’adresse, ouais sur ce coup-là, faut avouer qu’on a pas été futés).
Réveil le lendemain à 9h30. Ouch ! ça pique mais vu la rando de rêve que l’on va faire, ça vaut le coup. Le routard décrit l’endroit en des termes très dithyrambiques. Et on entame une rando de 4h, au milieu d’un paysage magnifique. Au bout de quelques heures, on trouve les fameuses piscines naturelles au milieu des gorges arides. Des sionistes sont déjà là mais ça ne fait rien malgré leurs tirades pathétiques:
« You’re Jewish? You like Israel? Girls here are hot! »
Putain mais c’est pas tes affaires ma religion mon vieux. Bref, mal poli et insupportable. Mais tous les Israéliens ne sont pas égaux à eux-mêmes. Par exemple, il y a ce gardien forestier du parc naturel qui propose de nous ramener à la voiture une fois notre tour terminé. Vraiment serviable, un peu ours mais un « bon gars ». Avec les Cam et Emilien, on escalade les gorges glissantes et on fait des sauts de 6-8m dans les piscines naturelles. Je pense que cet endroit est dans mon top 3 des endroits que m’ont le plus marqués dans ma vie. Super expérience !
Au final, à la sortie de la réserve naturelle, on se pose dans une aire pour se rafraîchir un peu. Et là, on tombe sur un sioniste franco-israélien vraiment ultra qui nous met mal à l’aise. Il a fait son alyah dans les années 80, participé à la guerre au Liban, et est clairement raciste. Sa première phrase annonce la couleur « Je suis juif, et fier de l’être! » ça sentait déjà le nationalisme israélien à plein nez. Il nous prédit une invasion arabe de l’Europe dans les décennies à venir (idée largement fausse : http://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/LIOGIER/50422). « Ils vous colonisent! » Ah et parce que vous, vous avez fait/ faites quoi ici? Quel con…
J’arrive à jouer double jeu tout en questionnant un peu ses allégations. Genre quand il me parle du communautarisme arabe, je lui rétorque que les Juifs sont pas mal non plus de ce côté là avec leur Etat juif. Bon, ça je le lui dis à la fin ne tenant plus et il le prend bien. Tout de même, ce gars me rend vraiment pessimiste par rapport à la résolution du conflit. Si tous les mecs en Israël sont aussi racistes et pro-violence que lui, on est pas dans la merde!
Puis on va se poser sur une plage du lac de Tibériade, c’est relativement beau. L’eau est très bonne.
On file ensuite vers les thermes, à Hammat Gader, à notre grande surprise il ne s’agit pas d’un endroit historique de l’époque romaine mais des thermes modernes. Néanmoins, c’est pas mal !
Prochain article si j’en ai le courage, là dessus: