Qui a tué mon père: En finir avec les morts prématurés

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Un homme pianote sur son ordinateur. Encapuchonné dans son sweat gris, le corps adolescent, il ressemble à Mark Zuckerberg. Ici, ce n’est pas pas un garage de la Silicon Valley, mais les routes du nord de la France. C’est Edouard Louis, qui murmure et retravaille son texte avant de le jouer sur scène. Après une première version interprétée par Stanislas Nordey, l’auteur incarne au plateau son propre rôle dans l’adaptation de Qui a tué mon père, mis en scène par Thomas Ostermeier.

Du témoignage au théâtre

Il y avait comme un évidence à ce que Edouard Louis et Thomas Ostermeier travaillent ensemble. Déjà, parce que la méthode de travail de Thomas Ostermeier consiste à accompagner ses acteurs dans leurs retranchements émotionnels, en puisant dans leurs expériences personnelles passées[1]. Or, Qui a tué mon père est avant tout un témoignage, celui-même de Edouard Louis, qui revient sur son rapport complexe au père, entre amour et honte de classe. Au-delà de la puissance émotionnelle à le voir livrer sa propre expérience, s’ajoute une ligne plus symbolique quand on sait que c’est grâce à l’option théâtre de son lycée qu’Edouard Louis a pu s’émanciper de ses origines défavorisées [2].

Au-delà du politique

Si le propos politique est évident, la pièce ne se résume pas un un discours critique sur les réformes de Chirac à Macron. Thomas Ostermeier ne s’est pas contenté de diriger son acteur, et nous propose un vrai travail autour du texte d’origine. Il y a d’abord ce plateau quasi nu et ces vidéo-projections; les codes d’une séance de diaporama de photos de famille sont détournés pour nous présenter des routes désertes du nord de la France, dans le brouillard et sous la pluie. La sobriété de la scénographie trouve un point d’ancrage en une simple chaise vide, manière simple et troublante de symboliser la figure paternelle, sa vulnérabilité et son absence/présence. Reste à Edouard Louis la tâche d’occuper l’espace scénique laissé vide en rejouant les chorégraphies de son enfance. Au rythme de Barbie Girl ou de Britney Spears, ces scènes de danses ponctuent le spectacle avec énergie, humour et empathie.

Il y a une vraie délivrance de voir le comédien sourire à chaque morceau de bravoure franchi pendant le spectacle, comme si nous assistions en direct à la cicatrisation de ses douleurs. Sans aucune complaisance mais toujours ouvert au public, Qui a tué mon père nous propose une histoire de réconciliation universelle.

https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2020-2021/theatre/qui-a-tue-mon-pere-1

Qui a tué mon père

De et avec Edouard Louis

Mise en scène de Thomas Ostermeier

 

Au théâtre des Abbesses du 9 au 26 Septembre 2020

[1] Thomas Ostermeier, insatiable théâtre (Jérémie Cullivier, 2016)

[2] En finir avec Eddy Belleguelle (Edouard Louis, 2014)

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