Giridih inde

Tribu-lations adivasis

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Hopopop ! Ce matin c’est parti pour Giridih, un patelin un peu plus petit qu’Hazaribag (où se situe le bureau central d’NSVK dans le Jharkhand). C’est à deux heures de route, pas grand-chose pour un pays grand comme l’Inde. Je vais sur le terrain cette fois pour rencontrer les populations tribales. Je pars en voiture avec Proveen, le « project coordinator » et un autre type de l’ONG, Rajendra. La route est vraiment mauvaise c’est impressionnant. On a aussi une roue qui part en live, ce qui rend la conduite ardue. Sur la route on trouve un réparateur, et c’est reparti. A certains endroits, la route n’est vraiment pas large, et deux voitures ne peuvent pas passer.

Des policiers arrêtent la voiture. Ils nous fouillent. Ils sont à la recherche de naxalistes. J’arrête le récit ici pour une petite précision politique sur la situation du Jharkhand. Je vais faire très court.

Le Jharkhand est un Etat très jeune créé le 15 novembre 2000 à la demande des populations tribales, majoritaires par rapport aux non-tribales dans cet espace. Avec ce nouvel Etat, les injustices auxquelles faisaient face ces tribus devaient cesser. Mais hélas, le scénario souhaité n’eut pas lieu. En effet, le Jharkhand est une région très riche en termes de ressources naturelles et de matières premières, lesquelles sont bien évidemment convoitées par les multinationales telles qu’Arcelor Mittal par exemple. Or, il existe en Inde (pas qu’en Inde d’ailleurs) une corruption plutôt importante qui aboutit de temps à autre à une collusion entre responsables politiques et grandes entreprises. Ainsi donc, l’accaparement par des tiers non tribaux de terres riches en minerai n’a pas cessé. Un petit chiffre pour vous donner une idée : selon l’Indian People’s Tribunal on Environment and Human Rights, plus de 6,5 millions de personnes furent déplacées dans l’Etat du Jharkhand au nom du développement. (Soyez tranquille, c’est bientôt fini). Evidemment, cela mécontente les populations tribales et c’est précisément dans ce climat politique d’injustice que certains groupes agressifs tels que les Naxalistes virent le jour. Selon mes collègues d’Ekta Parishad, si au début, leurs buts étaient assez similaires avec ceux de notre ONG pacifiste, désormais les choses sont différentes. Ils sont juste violents et souhaitent le renversement du gouvernement indien. Voilà donc ceux que recherchaient les policiers qui nous ont arrêtés au bord de la route.

On s’enfonce de plus en plus dans la campagne, la route est d’ailleurs de plus en plus mauvaise, il n’est pas rare que l’on doive faire un écart sur le bas côté pour pouvoir contourner les trous immenses dans la route. Cela me fait grandement relativiser les problèmes de chemins de terre près de ma maison à Loctudy, en France. Si les Indiens pouvaient avoir les mêmes trous que les nôtres à Loctudy, je pense qu’ils signeraient tout de suite.

Finalement, on finit par arriver dans la tribu après avoir traversé des routes improbables, perdues dans la campagne profonde. J’arrive devant les gens du village. Déjà, une précision s’impose. Quand je dis tribu, on peut s’imaginer des types en pagne, avec des lances, un feu, un chaman et tout le bordel. Eh bah non, c’est pas ça en fait ! Les personnes en face de moi ressemblent vraiment aux autres Indiens. Ils parlent aussi Hindi, mais par contre, ils vivent en pleines campagnes, n’ont probablement pas été à l’école, et ont besoin de conseils en ce qui concerne l’élevage ou l’agriculture. Je découvrirai plus tard que certaines populations tribales sont vraiment différentes et autrement plus démunies.
J’arrive devant les gens. Après avoir enlevé mes chaussures, je joins mes deux mains et prononce les mots « Jai Jagat » avant de rejoindre le cercle d’individus présents en cercle sur le tapis. C’est le moment de parler. Ouch, grosse pression là ! Je bafouille les quelques phrases que VJ m’a conseillées de dire le moment venu. Si je parle leur langue, je pourrais peut-être gagner leur respect. Franchement, là vous pouvez vous dire : « Okay, il réédite les clichés sur les sauvages qu’il faut amadouer en leur donnant des bijoux et en parlant leur dialecte. Mais c’est pourtant une réalité et c’est la même chose quand des étrangers essaient de parler en Français. Tout de suite, on les trouve plus sympathiques. Allez, un exemple au hasard…. Federer, il parle Français, tout de suite, il nous est sympathique ! Djoko l’a aussi compris, il a commencé à apprendre le Français ! Il n’a pas encore gagné Roland Garros pour autant.

Au final, les gens ont l’air d’avoir aimé mon speech, ils sourient et applaudissent. J’ai pourtant pas mal hésité et bafouillé. Il faut vraiment que je me mette à l’hindi si je veux m’intégrer. En fait, j’assiste à une réunion du Gram Ekai, une réunion entre différents corps politiques du village (comité des fermiers, des femmes, des droits de la terre, etc.). Gram signifie village en hindi.

C’est assez fascinant. Les femmes même si moins nombreuses interviennent plus que les hommes. Les représentants de NVSK du district de Giridih prennent des notes. Ils s’en serviront lors du prochain Gram Sabha, réunion entre représentants de plusieurs Gram Ekai, l’échelon supérieur. Puis les décisions seront discutées au niveau du district puis au niveau de l’Etat (Jharkhand ici en l’occurrence).
On me fait la traduction en Anglais, j’ai un peu l’impression de ralentir le groupe mais bon je n’ai pas le choix de toute façon si je veux comprendre. Celui qui me fait la traduction est le chef d’NSVK dans le district de Giridih (il y a une dizaine de districts dans le Jharkhand), qui je vais le constater plus tard est un homme très énergique, franc, rigoureux et déterminé. Il parle bien Anglais.

Une des femmes se plaint de ne pas avoir eu de formation pour élever ses chèvres. Elle en avait 14, 13 sont mortes. Les vétos et leurs vaccins ne courent pas les rues ici. Le représentant des fermiers se plaint de ne pas avoir suffisamment de moyens pour investir dans des matériaux qui augmenteraient la productivité des exploitations. A cause du manque de perspectives d’emploi et de vie ici, le charismatique anglophone m’explique que de nombreux jeunes de ces tribus partent pour les grandes villes indiennes dans lesquelles ils vont, à leur dépends, alimenter la main d’œuvre à bas coût travaillant dans le BTP. De là, j’imagine déjà les conséquences négatives. Ce phénomène de dumping doit probablement créer un certain racisme chez les Indiens urbains envers les ruraux à l’image en France du plombier polonais qui viendrait piquer le job des Français.
L’émigration est considérée comme un véritable fléau ici. Et il est compliqué de la combattre pendant la saison sèche durant laquelle on ne peut pas faire pousser grand-chose.

A un moment donné, un camion avec la figure de N. Modi (l’actuel 1er Ministre) passe dans le village. On (les adivasis) « l’invite » rapidement à dégager. Ici, visiblement, Modi n’a pas la côte. Il faut dire que ces paysans n’ont pas l’air de recevoir grand-chose de la part du gouvernement. Il suffit de voir l’état des routes pour comprendre que ces populations sont laissées à elles-mêmes.

C’est la fin de la réunion. On nous offre à manger dans une maison. C’est très très bon. Dommage que les Indiens fassent autant de bruit en mangeant ! Je rencontre d’importants problèmes de communication. Ici, les langues que je connais sont inutiles. C’est de l’hindi dont j’aurais besoin. Je me maudis de ne pas avoir plus travaillé la langue avant. J’avais le temps pourtant !

Avant de partir, on signe l’éternel registre indien inutile.

Je rejoins les locaux d’NSVK à Giridih. C’est là que je me rends compte quand même que l’ONG dans laquelle je bosse (NSVK est une filiale d’Ekta Parishad) est une espèce de pieuvre avec des contacts partout, dans quasi tous les Etats indiens. Je suis assez impressionné. Trêve de louanges cependant, les locaux de Giridih sont vraiment très loin d’être luxueux. La poussière est partout. Mince, mon ordi risque de ne pas aimer. (Plus tard, je serai très malade. Peut-être que ces mauvaises conditions ont une responsabilité là dedans !) On me trouve quand même un lit ! Je suis un peu gêné mais les Indiens sont comme ça. Ils tiennent tout le temps à être dans de moins bonnes conditions que toi. Je me rends compte que mon seuil d’exigence en termes d’hygiène et de salubrité a grandement baissé ici en Inde. Je me contente du minimum vital à savoir : manger, dormir. Pour se laver, on repassera. Haha, en tout cas, je voulais de l’expérience unique, je voulais de l’aventure, je voulais une claque, bah je suis servi ! J’espère que ce ne sera pas trop pour moi. Mais je garde confiance.

Je n’ai pas pu prendre de photos évidemment pendant la journée, c’était pas un zoo…

Quelques jours passent à Giridih. Je subis des hauts et des bas émotionnels tant les choses sont différentes ici. Mais clairement, j’avais pas choisi pour l’endroit pour faire la teuf toute l’année! Je voulais de l’altérité culturelle, je suis servi ! Les modes de communication de mes collègues sont très différents ici à Giridih, dans une plus grande mesure qu’à Hazaribag. A Hazaribag, je trouvais qu’on me répétait sans cesse mille fois les mêmes choses et cela m’agaçait. Ici, c’est encore différent.

Un de mes collègues les plus anciens ici, Bedju est peut-être l’homme le plus étrange que j’ai jamais vu. Tout ce qu’il fait se situe très en dehors de mes codes habituels. Cela fait une vingtaine d’années qu’il est un des principaux responsables du district de Giridih, et je pense que ça l’a pas mal changé. Les Indiens (avec les Palestiniens c’était pareil) n’ont pas trop notre culture du tourisme, du voyage. Nombreux m’ont demandé qu’est-ce que j’étais venu faire ici si loin de ma famille, de mes amis. Je pense que Bedju ne fait pas exception à la règle et a du rester dans ce patelin une bonne partie de sa vie. Ainsi donc, de par certains aspects, il agit un peu comme un rural cru. Il pète sans complexe à côté de toi, il répond à un appel en pleine nuit en parlant fort et par conséquent réveille tout le monde. « Putain mec…. Il est 2h30 du mat’ quoi ! ». Deux dernières choses très caractéristiques de Bedju : Il prend toujours des grandes expressions avec des grimaces affreuses à un tel point que j’ai l’impression que parfois il le fait pour faire rire les gens mais en fait je ne sais pas trop encore. Enfin, il parle très fort même quand il est juste à côté de toi. C’est vraiment un homme étrange.

Après, c’est lui qui est le plus calé sur les tribus du bloc de Giridih, et je dois avouer qu’il fait du bon boulot. J’ai donc beaucoup de choses à apprendre de lui. Cette semaine, il m’a fallu essayer de comprendre des présentations de villages effectuées en Hinglais par les Indiens avec un accent à couper au couteau ! Mais ni eux ni moi ne nous sommes découragés et nous avons finalement pu nous comprendre après de nombreux schémas. Cependant, leurs faiblesses en mathématiques et en Anglais m’interpellent. Même si ces gars sont censés être allé à l’école, franchement, c’est pas des flèches… Ce qui n’était pas du tout le cas des mecs d’Hazaribag. En Inde, je comprends rapidement que beaucoup de choses tournent autour des questions d’éducation.

Je l’ai déjà mentionné mais le lieu où je dors temporairement en ce moment est vraiment très très sale ! De la poussière, de la crasse et des tonnes de moustiques ! Je n’ai pas pu embarquer ma moustiquaire jusqu’ici, donc il faut tuer ces saloperies avant d’aller se coucher. Ce qui a donné lieu à une scène surréaliste le mercredi 19 au soir : Avec Somnath, le seul type qui parle bien Anglais dans le bureau de Giridih, en caleçon à minuit, nous nous sommes retrouvés à tuer tous les moustiques de ma chambre. Finalement, tous les Indiens ne sont pas si pudiques que cela!

PS: les quelques photos proviennent de la visite d’une autre tribu quelques jours plus tard.

PPS: J’ai aujourd’hui visité une des communautés les plus pauvres de l’Inde: « the people of Birhor », ça m’a beaucoup marqué. Prochain article peut-être là-dessus!

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