Walker Evans au Centre Pompidou – Une vision de l’Amérique des années 1930

Vernaculaire: du latin verna, l’esclave, celui qui sert. Ce qui est utile, utilitaire. Ou encore vernaculus, l’esclave né dans la maison. Utilitaire, domestique et populaire, tel était l’univers qui fascinait Walker Evans. Photographe de l’Amérique locale des années 1930, il parvint à montrer le réel, à offrir une rareté unique au sous-estimé banal.  Le Centre Pompidou lui dédie une rétrospective qui nous guide au fil de ses réflexions, de la collection à sa création.

Au début des années 1930, Walker Evans est parmi les groupes d’avant-garde New-Yorkais. Il rencontre un certain nombre de personnes tout à fait cruciales. Notamment Lincoln Kirstein, un intellectuel diplômé de Harvard qui a fondé une petite revue d’avant-garde, Hound & Horn, dans laquelle il publie des poèmes d’Ezra Pound et des photographies de Walker Evans. Fondateur de la Harvard Society for Contemporary Arts, il deviendra plus tard l’un des conseillers du MoMa de New York et fondera le New York City Ballet… C’est Kirstein qui va embarquer Evans dans l’un de ses premiers grands projets : des photographies sur l’architecture vernaculaire américaine, typique des Etats-Unis. Ces maisons en bois construites au 19ème siècle dont il reste quelques exemplaires mais qui commencent à disparaître avec le temps. C’est dans le but de garder la trace de cette architecture typique qu’ils vont commencer à réaliser ces images. C’est la première rencontre importante qui va forger le style d’Evans.

Une autre personne sera tout à fait cruciale: Bérénice Abbott. Vivant à Paris dans les années 1920, elle a d’abord été l’assistante de Man Ray, connue pour avoir racheter le fond de l’atelier Eugene Atget décédé en 1927. Evans va être époustouflé par la qualité des photographies d’Atget, et va fortement s’en inspirer dans ses travaux en photographiant les petits métiers, les devantures de petites boutiques, les vitrines de magasins. Jusqu’à la fin de sa vie, il parlera de l’oeuvre d’Atget comme l’un de ses grands modèles. Atget avait photographié le vernaculaire parisien. Evans va chercher à montrer en quoi l’Amérique est américaine, à montrer cette « américanité ».

Pas à pas, cette exposition retranscrit le cerveau de Walker Evans et toutes ses références. A travers les objets qu’il a collectionné. Grand collectionneur de cartes postales (à peu près 10 000 à la fin de sa vie), des plaques en émail que l’on voit sur les bords de routes aux Etats-Unis… Il y a ici une véritable typologie des différentes passions de Walker Evans, les sujets du vernaculaire américain, les baraques de bords de route, ces petites maisons en bois amenées à disparaître.

Ce qui fascine Evans, c’est de s’arrêter devant ce magasin devant lequel personne ne s’arrête. Il nous dit « Regardez, il y a quelque chose d’extraordinaire ». Par exemple, la publicité sur la façade d’un garage que le garagiste a lui même inventée. En faisant ça, il crée un rythme esthétique, avec des formes et des typographies. Il crée une esthétique vernaculaire. Il y a ici quelque chose à voir et à comprendre des Etats-Unis. Un poisson, des fruits et légumes…

Louisiana Plantation House, 1935.

Il montre cette Amérique qui n’est pas aussi flamboyante qu’on aimerait. Le fameux cimetière de voitures de 1936, carcasses de Ford T. Image de la modernité à l’arrêt. Le progrès produit des déchets… Prémices d’une conscience écologique ?

Une passion pour la photographie vernaculaire, celle qui n’est pas d’art. Une façon de capturer les instants, les personnes et les objets tour à tour comme un photographe de rue, de carte postale ou de catalogue… Un artiste conceptuel qui fait de l’art sans en faire.

Face à son sujet. C’est ainsi que Walker Evans shoote ses portraits, sans jeux d’ombres, ni histoire de plongée ou contre-plongée. Son « Regardez comme c’est beau » nous est intimé. Sans rajout, l’effet est immédiat. La frontalité, une position dictée par l’objet, un « Mettez-vous face à moi ».



Cette neutralité, ce vernaculaire à toute épreuve, on le retrouve à chaque étape de l’exposition, des passagers du métro New-Yorkais, transformé en cabine de photomaton, jusque dans ses photographies de sculptures Africaines. On en ressort avec un regard neuf et aiguisé de curiosité. Retrouvez la vue, la vraie, jusqu’au 14 août au Centre Pompidou.

Crédit photos: Antoine Monégier du Sorbier.