« Why ? », le théâtre en question
Peter Brook, un des grands metteurs en scène du XXe siècle, est de retour au théâtre des Bouffes du Nord avec Marie Hélène Estienne pour présenter leur dernière création, sobrement intitulée Why ?
Pourquoi le théâtre ?
Cette question semble adressée au spectateur le long de cette confrontation directe entre les trois comédiens sur scène et leur public. Hayley Carmichael, Kathryn Hunter et Marcello Magni, se font les témoins des réflexions de l’auteur sur le sujet. A tour de rôle, et dans une mise en scène enjouée, ils nous confient des souvenirs, des questionnements, des frustrations, et des joies partagées par toutes celles et ceux qui ont consacré leurs vies au théâtre.
Le parler est familier, et le décor est sobre, fidèle au style épuré du metteur en scène, quelques chaises, deux portants, et une volée de feuillets au sol. Les comédiens semblent interrompre une répétition quand ils se tournent vers nous.
L’introduction donne le ton. Avec tout le sérieux du monde, certes teinté de poésie et d’autodérision, ils nous dévoilent l’origine de la question: Dieu au septième jour, après avoir créé le théâtre pour combler l’ennui des Hommes, aurait dans un ultime affront soufflé le mot « pourquoi ? » , comme une sentence à toujours douter et à se questionner, mais aussi comme la promesse des créations infinies à venir. Tout un programme…
Après une première partie de spectacle légère, composée de bribes de pensées, d’anecdotes, et d’interactions avec le public, la seconde partie tranche par un ton plus didactique et factuel.
Meyerhold influence Brook
En effet, on assiste désormais à ce qui pourrait s’apparenter à un cours magistral. Les comédiens, notes en mains, retracent la vie et l’œuvre de Meyerhold, un metteur en scène Russe visionnaire, exécuté en 1940, et une grande influence de Peter Brook. Toute sa vie il n’aura eu cesse de défier l’ordre établi, de créer un théâtre populaire, et d’innover dans des mises en scènes toujours plus avant-gardistes par leurs simplicités. Fervent communiste, il a pourtant été en ligne de mire des purges Stalinienne, et comme tant d’autres artistes des années 30, il mourut en martyr pour la liberté de créer. Malgré la lecture de correspondances échangées entre Meyerhold et sa femme, et l’incarnation à tour de rôle du metteur en scène par les comédiens, cette seconde partie reste moins vivante que la première, et peut décontenancer. C’est au fur et à mesure que l’on perçoit l’héritage du théâtre de Meyerhold dans les questionnements de Brook : pourquoi faire du théâtre, a fortiori sous l’oppression ? Des ponts se forment alors entre les deux parties du spectacle, entre deux générations d’artistes, et le théâtre semble plus que jamais être la réponse à sa propre question